Chris Harman : l’islamisme des pauvres et de la classe moyenne

En 1994, Chris Harman (1942-2009 , leader du SWP (Socialist Workers Party), le parti trotskiste britannique , écrit un article intitulé « Le Prophète et le Prolétariat ». Il y prône une alliance entre militants de gauche et associations musulmanes radicales

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  Il nous parle évidemment d’abord  de  l’islamisme des pauvres

…celui des pauvres issus du monde rural, qui ont souffert de l’expansion de l’agriculture capitaliste, forcés à l’exode vers les villes à la recherche désespérée d’un emploi.

 

en Algérie, la réforme agraire n’a profité qu’à 2 des 8,2 millions de ruraux. Les 6 millions restants durent choisir entre rester dans leurs campagnes et voir leur pauvreté s’aggraver, et partir à la ville pour chercher du travail

 Mais dans les villes, « le groupe le plus démuni est celui des chômeurs irréductibles, composé des anciens paysans déracinés qui ont déferlé sur les villes en quête d’un emploi et d’avancement social (…) et qui se sont retrouvés détachés de la société rurale, sans être pour autant réellement intégrés à la société urbaine »

Ils ont perdu les certitudes associées à un mode de vie ancien  – certitudes qu’ils identifient à la culture musulmane traditionnelle.

  Aux propriétaires terriens établis en ville et aux paysans sans terre, les intégristes tiennent le même langage : le Coran stigmatise l’expropriation des biens d’autrui ; il recommande aux riches et à ceux qui gouvernent conformément à la Sunna d’être généreux envers les indigents »

.En Iran, la transformation capitaliste de l’agriculture par la réforme agraire lancée par le Shah dans les années 1960 ne profita qu’à une minorité des travailleurs. Elle n’apportait aucune amélioration à la situation économique des autres ; parfois elle l’aggravait. Ceci accentua l’antagonisme existant entre les pauvres, ruraux ou récemment urbanisés, et l’Etat, antagonisme qui était loin de desservir les forces islamiques qui s’étaient opposées à la réforme agraire.

 En Egypte, l’« Infitah », l’ouverture de l’économie sur le marché mondial grâce à des accords signés avec la Banque Mondiale et le FMI à partir du milieu des années 1970, aggrava sensiblement la situation de la majorité des paysans et ex-paysans, créant ainsi d’énormes réserves d’amertumes.

En Afghanistan, les réformes agraires imposées après le coup d’Etat du PDPA (parti communiste) en 1978, entraînèrent une série de soulèvements spontanés de la part de toutes les sections de la population rurale :

 

Les mosquées .

Mais ce n’est pas seulement l’hostilité à l’Etat qui sensibilise les ex-paysans au message des islamistes. Les mosquées fournissent un point de repère social pour des gens perdus dans une ville nouvelle et étrange. Les organisations caritatives islamiques leur apportent les services sociaux les plus rudimentaires (cliniques, enseignement, etc.) que l’Etat n’assure pas.

 Ainsi, en Algérie, la croissance des villes dans les années 1970 et 1980 s’est accompagnée d’une augmentation considérable du nombre de mosquées :

 

 L’islamisme de la nouvelle classe moyenne

en fait la force qui a déchiré des sociétés entières comme l’Algérie et l’Egypte, qui a fait se soulever une ville entière en Syrie, Hama, …vient en fait d’une partie de la classe moyenne apparue avec la modernisation capitaliste dans le Tiers monde.

En Iran, c’est de cette couche que vinrent les cadres des mouvements islamistes qui dominèrent la vie politique au cours des premières années de la révolution

 

Les islamistes sont des intellectuels, Il y a très peu de littéraires parmi eux.

Les références sont les mêmes que pour les ulemâ (Coran, sunna, etc.) mais la pensée islamiste est formée par la rencontre avec les grandes idéologies occidentales, en qui ils voient le secret de l’avance technique de l’Occident. Le problème pour eux est d’élaborer une idéologie politique moderne à partir de l’islam, , seule voie pour assumer la modernité et pour mieux affronter les impérialismes étrangers..

En Algérie, le FIS recrute surtout dans les lycées et les universités de langue arabe (par opposition aux établissements francophones) et parmi les nombreux jeunes qui voudraient être des étudiants mais n’ont pas accès à l’université :

Les diplômés arabophones se voient, de plus, interdits d’accès aux secteurs de pointe, surtout dans les industries exigeantes en matière de connaissances techniques et de langues étrangères (…) Autrement dit, les arabisants, même titulaires de diplômes supérieurs, n’ont pas leur place dans l’industrie moderne ; pour la plupart, il finissent par se tourner vers les mosquées

 . S’il y a misère, malaise et frustrations, c’est parce que ceux qui sont au pouvoir ne tirent pas leur légitimité de la shûra (consultation) mais de la force seule. (…) La restauration de l’islam des premiers temps ferait disparaître ces inégalités.

 Les jeunes arabophones instruits ne se tournent pas vers l’islam parce qu’ils voudraient que les choses restent en l’état, mais parce qu’ils croient que l’islam permet un changement social fondamental.

En Egypte, le mouvement islamiste est né il y a quelques 65 ans, quand Hassan al-Banna crée les Frères Musulmans. Ce mouvement croît au cours des années 1930-1940, au fur et à mesure que s’évanouissent les illusions sur la capacité du parti nationaliste laïc, le Wafd, à combattre la domination britannique sur le pays. Sa base sociale était composée principalement de fonctionnaires et d’étudiants.

. Les jeunes diplômés n’échappent pas à la pauvreté endémique qui frappe une grande partie de la société égyptienne :

la seule façon de sortir de ce bourbier est de trouver un emploi à l’étranger, en particulier en Arabie saoudite et dans les Etats du Golfe.

Les islamistes surent articuler ces problèmes en utilisant un discours religieux. Comme l’écrit Kepel au sujet d’un des dirigeants de l’une des premières sectes islamistes, sa position ne signifie pas qu’il faille se conduire en « fanatique sorti d’un autre siècle (…) Il met le doigt, à sa manière, (…) sur un problème crucial pour la société égyptienne contemporaine »

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