Archive pour la catégorie 'Senghor'

Léopold Sedar Senghor : Chant d’ombre

30 novembre, 2018

Quand Léopold Senghor arriva en France, ce fut un choc pour lui, le petit noir né à Joal

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En France 

Il apprit que son pays avait une  riche histoire

Il apprit les énormes méfaits des colons cachés par les pères de la mission,

Il rencontrait d’autres noirs venus d’autres horizons 

des étudiants  comme lui, Aimé Césaire , Léon Damas ,Etienne Lero …

et avec eux il lisait « la revue du monde noir » fondée par le docteur Sajou venu du Liberia  

puis la revue « légitime défense » lancée par Etienne Laro

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En France ,il fréquentait des blancs qui le respectait

et le côtoyait d’égal à égal   

des surréalistes et des artistes

Breton ou Picasso

A qui il dédia un poème « le masque nègre »

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C’était avant la guerre

vers 1932………..

C’est alors qu’il écrivit les chants d’ombre

En se souvenant de son pays

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Joal !


Je me rappelle les festins funèbres fumant du sang des troupeaux égorgés

Du bruit des querelles, des rhapsodies des griots.
Je me rappelle les voix païennes rythmant le Tantum Ergo
Et les processions et les palmes et les arcs de triomphe.
 

Je me rappelle la danse des filles nubiles
…Je me rappelle, je me rappelle…
Ma tête rythmant
Quelle marche lasse le long des jours d´Europe où parfois
Apparaît un jazz orphelin qui sanglote, sanglote, sanglote.

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Oui !il aimait son pays

sa culture

ses coutumes

ses masques

ce pays tant méprisé  par les colons

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Ce pays méconnu par les  européens

mêmes cultivés

C’est le moment de raconter son histoire

le temps de la renaissance

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Prière aux masques

Masques! Ô Masques!
Masques noirs masques rouges, vous masques blanc-et-noir
A votre image, écoutez-moi!

Voici que meurt l’Afrique des empires – c’est l’agonie d’une princesse pitoyable
Et aussi l’Europe à qui nous sommes liés par le nombril.
…Fixez vos yeux immuables sur vos enfants que l’on commande

Que nous répondions présents à la renaissance du Monde
Ainsi le levain qui est nécessaire à la farine blanche.
Car qui apprendrait le rythme au monde défunt des machines et des canons?
Qui pousserait le cri de joie pour réveiller morts et orphelins à l’aurore?
Dites, qui rendrait la mémoire de vie à l’homme aux espoirs éventrés?
Ils nous disent les hommes du coton du café de l’huile
Ils nous disent les hommes de la mort.
Nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds
reprennent vigueur en frappant le sol dur.

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Neige sur Paris

Oui ! La France c’est bien

Senghor pardonne ,il oublie le passé 

L’esclavage, l’exploitation  

Et pourtant quelle froideur !

Le jour de noél ,Senghor se souvient

Seigneur, vous avez visité Paris par ce jour de votre naissance
…Seigneur, j’ai accepté votre froid blanc qui brûle plus que le sel.
Voici que mon cœur fond comme neige sous le soleil.
J’oublie

Les mains blanches qui tirèrent les coups de fusils qui croulèrent les empires

Les mains qui flagellèrent les esclaves qui vous flagellèrent
Les mains blanches poudreuses qui vous giflèrent,

 les mains peintes poudrées qui m’ont giflé
Les mains sûres qui m’ont livré à la solitude à la haine
Les mains blanches qui abattirent la forêt de rôniers qui dominait l’Afrique,
au centre de l’Afrique

 

Elles abattirent la forêt noire pour en faire des traverses de chemin de fer
Elles abattirent les forêts d’Afrique pour sauver la Civilisation, parce qu’on manquait de matière première humaine.

Seigneur, je ne sortirai pas ma réserve de haine,

 je le sais, pour les diplomates qui montrent leurs canines longues Et qui demain troqueront la chair noire.

 

Mon cœur, Seigneur, s’est fondu comme neige sur les toits de Paris

Au soleil de votre douceur
Il est doux à mes ennemis,

 à mes frères aux mains blanches sans neige  

 

 

Léopold Sedar Senghor :Hosties noires »

29 novembre, 2018

Ces poème   écrit en 1948 est  dédié à  Georges Pompidou que Senghor  a  fréquenté  à l’école normale 

Il commence par une ode en l’honneur des tirailleurs sénégalais

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Hostie

ce mot « hostie » veut dire « victime »

Les noirs ont été maintes et maintes fois sacrifiés par la France

l’esclavage la colonisation ,les tirailleurs ….

Comment  peuvent  ils pardonner , ?

  … Sicut et nos dimittimus debitoribus nostris

 Comment devenir non plus une simple victime

 mais une hostie offerte

pour la paix dans le monde ?

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Comment ne pas citer ce dernier poème ?

Étonnant !

Les africains sauveront le monde

en devenant des hosties , des  « sacrifiés »   

Seigneur Jésus, à la fin de ce livre que je T’offre comme un ciboire de souffrances

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Déjà , par ailleurs des théologiens africains  l’ont dit en commentant le verset évangélique   

la pierre rejetée par les bâtisseurs est  devenue la pierre d ‘angle  

Mgr Tshibangu le dit

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Walligo le dit

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Les hosties noires

ce sont eux les compagnons de l’agneau égorgé de l’apocalypse qui savent pardonner

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Seigneur, au pied de cette croix –

et ce n’est plus Toi l’arbre de douleur,

 mais au-dessus de l’Ancien et du Nouveau Monde l’Afrique crucifiée
Et son bras droit s’étend sur mon pays, et son côté gauche ombre l’Amérique
Et son cœur est Haïti cher, Haïti qui osa proclamer l’Homme en face du Tyran
Au pied de mon Afrique crucifiée depuis quatre cents ans et pourtant respirante
Laisse-moi Te dire Seigneur, sa prière de paix et de pardon.

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Seigneur Dieu, pardonne à l’Europe blanche !
Et il est vrai, Seigneur, que pendant quatre siècles de lumières

 elle a jeté la bave et les abois de ses molosses sur mes terres
Et les chrétiens, abjurant Ta lumière et la mansuétude de Ton cœur
Ont éclairé leurs bivouacs avec mes parchemins,

torturé mes talbés,

 déporté mes docteurs et mes maîtres-de-science.

 

Leur poudre a croulé dans l’éclair la fierté des tatas et des collines
Et leurs boulets ont traversé les reins d’empires vastes comme le jour clair, de la Corne de l’Occident jusqu’à l’Horizon oriental
Et comme des terrains de chasse, ils ont incendié les bois intangibles, tirant Ancêtres et génies par leur barbe paisible.
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Seigneur, pardonne à ceux qui ont fait des Askia des maquisards, de mes princes des adjudants
De mes domestiques des boys

 et de mes paysans des salariés,

 de mon peuple un peuple de prolétaires.

 

Car il faut bien que Tu pardonnes à ceux qui ont donné la chasse à mes enfants comme à des éléphants sauvages.
Et ils les ont dressés à coups de chicotte, et ils ont fait d’eux les mains noires de ceux dont les mains étaient blanches.
Car il faut bien que Tu oublies ceux qui ont exporté dix millions de mes fils dans les maladreries de leurs navires
Qui en ont supprimé deux cents millions.
Et ils m’ont fait une vieillesse solitaire parmi la forêt de mes nuits et la savane de mes jours.
Seigneur la glace de mes yeux s’embue
Et voilà que le serpent de la haine lève la tête dans mon cœur, ce serpent que j’avais cru mort…

Tue-le Seigneur, car il me faut poursuivre mon chemin, et je veux prier singulièrement pour la France.
Seigneur, parmi  les nations blanches, place la France à la droite du Père.

 

Oh ! je sais bien qu’elle aussi est l’Europe, qu’elle m’a ravi mes enfants comme un brigand du Nord des boeufs, pour engraisser ses terre à cannes et coton, car la sueur nègre est fumier.
Qu’elle aussi a porté la mort et le canon dans mes villages bleus, qu’elle a dressé les miens les uns contre les autres comme des chiens se disputant un os
Qu’elle a traité les résistants de bandits, et craché sur les têtes-aux-vastes-desseins.
Oui, Seigneur, pardonne à la France qui dit bien la voie droite et chemine par les sentiers obliques
Qui m’invite à sa table et me dit d’apporter mon pain, qui me donne de la main droite et de la main gauche enlève la moitié.
Oui Seigneur, pardonne à la France qui hait les occupants et m’impose l’occupation si gravement
Qui ouvre des voies triomphales aux héros et traite ses Sénégalais en mercenaires, faisant d’eux les dogues noirs de l’Empire
Qui est la République et livre les pays aux Grands-Concessionnaires
Et de ma Mésopotamie, de mon  Congo, ils ont fait un grand cimetière sous le soleil blanc.

 

Ah ! Seigneur, éloigne de ma mémoire la France qui n’est pas la France, ce masque de petitesse et de haine sur le visage de la France
Ce masque de petitesse et de haine pour qui je n’ai que haine – mais je peux bien haïr le Mal

 

Car j’ai une grande faiblesse pour la France.
Bénis de peuple garrotté qui par deux fois sut libérer ses mains et

 osa proclamer l’avènement des pauvres à la royauté
Qui fit des esclaves du jour des hommes libres égaux fraternels
Bénis ce peuple qui m’a apporté Ta Bonne Nouvelle, Seigneur, et ouvert mes paupières lourdes à la lumière de la foi…

Il a ouvert mon cœur à  la connaissance du monde,

 me montrant l’arc-en-ciel des visages neufs de mes frères.